Littératures Berbères : des trésors d'oralité

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Littératures Berbères : des trésors d'oralité

Les sociétés berbérophones ont produit une expression littéraire orale d'une très grande qualité, digne, sans aucun doute, de figurer au premier rang du patrimoine des cultures orales du monde entier.

Plusieurs facteurs semblent y avoir contribué. En premier lieu, la persistance de l'oralité a valu à ces littératures berbères de demeurer dans un grand état de fraîcheur, relativement préservée des intrusions et des transformations induites, dans d'autres langues, par la concurrence et la pression de l'écrit. Il a fallu attendre que des transistors la détrônent pour qu'elle vienne à tomber en désuétude ; encore certaines formes
peuvent-elle aujourd'hui survivre, voire revivre en maintes occasions, sous des formes renouvelées... Nous pensons plus particulièrement à la chanson.
Cette littérature orale s'est aussi trouvée heureusement " fécondée " par la rencontre de deux grands courants culturels qui s'y sont étroitement mêlés.

D'abord un vieux fond méditerranéen d'inspiration très ancienne et parfois encore proche du genre mythique, de tradition strictement orale, tel qu'on peut en trouver encore quelques brides dans les productions culturelle du Nord de la Méditerranée. Ce soubassement méditerranéen a été ensuite complété d'apports appartenant, certes, au même fond universel de thèmes, mais parfois fixé et retransmis après un passage
par l'écrit.
C'est le cas, pour la littérature orale en prose par exemple, des contes des " Mille et une nuit " : diffusés en langue arabe écrite par des lettrés, puis repris en transmission orale par des pèlerins ou des conteurs professionnels, éventuellement. traduits, adaptés dans d'autres langues, ils se sont intégrés au répertoire de contes déjà
connus, en s'y assimilant, en l'occurrence en se berbérisant.
Une oralité élaborée Toutes ces productions littéraires orales, qu'elles soient en prose ou versifiées, ont la commune propriété d'être dites dans une langue sensiblement différente de celle en usage dans la vie quotidienne.
De même que l'on reconnaît dans les cultures à écriture un style écrit, de même il existe dans les cultures d'expression orale un style littéraire oral très élaboré.
Cette langue littéraire se distingue par un vocabulaire qui privilégie des mots rares, anciens ou empruntés à d'autres langues (l'arabe ou les langues latines par exemple) par une syntaxe particulière, plus audacieuse, où les changements dans l'ordre des énoncés de phrases sont autorisés, les règles d'accords parfois
transgressées, les pronoms parfois négligés...

Cette sophistication faite de libertés, d'écarts au langage courant, a l'avantage d'uniformiser une langue entendue comme langue littéraire par de nombreux auditeurs et locuteurs, au-delà de la diversité dialectale.
Cette langue littéraire, langue des poètes professionnels par exemple, qui se déplacent de village en village est ainsi largement comprise. A travers ces particularités communes des symboles employés comme des tournures qui lui sont propres, on peut lui
reconnaître une vocation unificatrice.
Elaboration très soignée, encore, de la structure même de ces productions littéraires orales, non seulement en poésie, mais aussi en prose. L'oralité exclusive de la transmission peut-être encore davantage que l'écriture-lecture un travail tout particulier de la construction d'un récit fait pour être écouté, entendu, retenu.
Ces récits découvrent des règles d'une véritable architecture de la narration tant en prose qu'en vers, des codes rythmiques qui les ponctuent et les scandent...
L'on saisit ainsi toute la multiple et exceptionnelle richesse de cette littérature collective aujourd'hui perdue dans des sociétés où la littérature s'est désormais individualisée sous la pression de l'écrit.
Les genres en sont nombreux, leur variété différentes selon les régions, les communautés dialectales qui montrent plus ou moins d'affinité ou de prédilection pour tel ou tel genre, voire même telle combinaison ou chevauchement de genres.

Variété en prose

Les contes en prose sont sans doute le genre le plus menacé aujourd'hui de disparition. Dits par des conteuses surtout, au cours des veillées collectives, de la concurrence de l'audiovisuel entraîne leur disparition.
Les plus nombreux- sont les contes " paysans " qui traitent des rapports des hommes vivant en société avec les forces naturelles qu'il faut vaincre. Le héros-type est médiateur vainqueur de tous les dangers de la nature hostile -où les ogresses sont tout particulièrement nombreuses- . défenseur du groupe dont il assure la pérennité et la reproduction. Ces contes font partie d'une large culture méditerranéenne.
Ainsi en est-il du " Petit Poucet Kabyle " : Mqidech (Débrouillard) est le septième fils d'un père qui a de nombreuses épouses. Sa mère était stérile mais elle l'a conçu après avoir mangé une demi-pomme (ou une demi-poire selon les récits) et c'est pourquoi il est tout petit, mais plein d'astuces. Il peut se passer de sommeil et on dit de lui " Mi-déc., porte-malheur qui ne dort pas et n'a jamais sommeil ".Un jour, il arrive avec ses frères vorace qu'elle pourrait non seulement le manger mais aussi la terre sur laquelle il
marche. Ses frères acceptent le repas que leur offre l'ogresse. Lui le refuse et veille pendant qu'ils dorment. Il prépare un plan de fuite. Mais ses demi-frères, jaloux de sa débrouillardise, l'envoient affronter seul l'ogresse.
Il la met tellement en colère qu'il lui jette un matelas, un moulin à graine et un plat (ou une poule) et il réussit à capturer l'ogresse et à l'enfermer dans un coffre. Il fait brûler l'ogresse et fini par prendre sa femme...
Une deuxième catégorie de contes puise son inspiration dans une veine plus orientale, plus citadine, influencée en partie par les Mille et Une Nuits par exemple, mais revues et corrigées, berbérisées.
Une version Kabyle d'Aladin en fait un orphelin, fils unique, soucieux d'aider sa mère. Ses prouesses sont accomplies grâce à une lampe et surtout, " un anneau de puissance " conquis à un méchant Marocain, à qui il enlève une fille de sultan qui, devenue sa femme, lui donne accès au pouvoir.

Variété en poésie

Les genres versifiés sont encore plus variés. En pays touareg s'est tout particulièrement développé un genre de poésies d'amour que l'on qualifie souvent d'amour courtois, aux séances ritualisées lors de réunions, l'ahal, véritables cours d'amour où sont chantés les bonheurs ou les malheurs amoureux de jeunes filles et jeunes gens.
Dans les régions berbérophones du Nord maghrébin, les poésies chantent plus souvent l'amour malheureux. Les métaphores de la femme aimée font appel à un bestiaire qui peut varier selon les régions : la perdrix dans le Tell, du Rif aux Kabylies, plus souvent la pigeonne en pays chleuch, quoique l'on puisse rencontrer aussi la pigeonne personnifiant la belle dans les contes Kabyles. Nombreux sont les chants poétiques qui accompagnent les fêtes saisonnières ; les fêtes agraires, ils sont entendus aux grandes étapes de l'année agricole, fêtes destinées à assurer la fertilité des champs. D'autres accompagnent les fêtes et cérémonies familiales, les mariages où l'on célèbre les louanges des familles qui unissent leurs destins. D'autres encore sont moins collectifs, ainsi les berceuses dans l’intimité de la mère et de son enfant.

Très souvent, une certaine improvisation est laissée aux chanteurs de poèmes qui n'hésitent pas à informer ainsi leurs auditeurs des événements de la vie quotidienne villageoise, voire même à critiquer les autorités. De plus en plus rares à présent, se font les occasions de productions poétiques telles qu'elles pouvaient avoir lieu il y a encore peu de temps. Mais d'autres formes apparaissent...
C'est par exemple, à la frontière de l'orale et de l'écrit, des pièces de théâtre.
C'est surtout l'art de la chanson. Nombreux sont les groupes berbérophones qui puisent leur inspiration dans l'art poétique oral (chant de travail, berceuse...), nombreux sont aussi les écrivains qui enrichissent leur œuvre en puisant dans les racines berbères un renouvellement littéraire.

CLG

 

 

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